Comment Tunisair en est-elle arrivée là ? Etait-elle en mesure d’éviter la dégradation de la situation après avoir fait les beaux jours de l’économie nationale ? Quel plan de restructuration et comment assurer la viabilité du transporteur historique ? Tant de questions s’imposent aujourd’hui alors que tout semble prêt pour soutenir une compagnie qui a besoin d’être restructurée de fond en comble. Décryptage d’un plan de restructuration qui nécessite une levée de fonds estimée à 1.3 milliard de dinars.
Il était assez prévisible, le dossier de la restructuration des entreprises publiques ne pourra plus être retardé davantage plus. Alors que certaines d’entres elles sont littéralement menacées de faillite, d’autres gèrent leur budget au jour le jour et peinent même à assurer une liquidité pour leurs besoins. La restructuration de ces acteurs publics ne se présente plus aujourd’hui comme une option ou un choix à faire, mais s’impose pour être une obligation, voire une nécessité pour les sauver. A commencer par les sociétés de transport, arrivant aux compagnies de production énergétique et en passant par les hôpitaux publics et les caisses sociales, sans l’adoption d’un plan de restructuration et de remise à niveau efficace, étudié et participatif, tout le système social sera voué, malheureusement, à l’échec à moyen terme, d’autant plus que ces sociétés accusent un déficit et des dettes énormes qui se comptent en milliards de dinars.
La compagnie Tunisair, connue comme étant le transporteur historique de l’Etat tunisien, ayant, depuis sa création en 1948, massivement contribué au développement du secteur du transport aérien, se trouve actuellement en situation financière, logistique et administrative, le moins qu’on puisse dire peu confortable. Comment en est-elle arrivée à une telle situation ? Etait-elle en mesure d’éviter la dégradation de la situation après avoir fait les beaux jours de l’économie nationale ? Quel plan de restructuration pour Tunisair et comment assurer la viabilité du transporteur historique ? Tant de questions qui s’imposent aujourd’hui alors que tout semble être prêt pour restructurer Tunisair ?
Pareille évidence est connue de tous à commencer par Elyes Mnakbi, président-directeur général de la compagnie aérienne nationale, l’ancien ministre du Transport, Hichem Ben Ahmed, et l’actuel ministre intérimaire René Trabelsi. Décryptage d’un plan de restructuration qui nécessite une levée de fonds estimée à 1.3 milliard de dinars.
La restructuration de Tunisair se présente, en effet, comme une nécessité qui fait l’unanimité de tous les intervenants impliqués de près ou de loin, mais elle tarde toujours à se mettre en place en l’absence d’une décision politique efficace. On parle toujours de ce plan de restructuration mais il n’en est rien, on peine à le mettre en place et la situation de la compagnie nationale ne cesse de se dégrader. En fait, ce plan a été évoqué depuis 2012, lorsque la compagnie avait accusé des pertes de 77,2 millions d’euros en 2011 suite aux évènements de la révolution. Mais depuis, le dossier est à la traîne souffrant notamment d’une discontinuité de décision politique provoquée par le changement récurrent des responsables et décideurs. Mais de quoi s’agit-il vraiment ? Nous parlons sans cesse d’un plan de restructuration, mais sans évoquer ses principaux traits, encore moins ses priorités et axes.
On commence à voir le bout du tunnel. Selon nos informations, le dossier de la restructuration de Tunisair est fin prêt et est placé sur le bureau du chef du gouvernement, mais sa mise en place devrait être reportée au prochain gouvernement au vu de l’actuelle période intérimaire que connaît le pouvoir exécutif.
Les principaux axes
D’après les informations que nous avons obtenues, ce plan contient trois principaux axes. Le premier concerne le rajeunissement de la flotte qui souffre d’usure, le deuxième porte sur le développement de l’activité en lançant de nouvelles lignes, ce qui permettra de s’ouvrir sur de nouveaux marchés et de faire augmenter le chiffre d’affaires, mais aussi les revenus en levant de nouveaux fonds. Quant au troisième, il s’agit d’un problème qui fâche, c’est en fait l’axe le plus périlleux sur lequel devra se pencher le prochain ministre du Transport, celui de la restructuration administrative. Pour dire les choses sans détour, il s’agit de l’opération de licenciement en masse d’un sureffectif qui constitue un lourd fardeau financier pour la compagnie.
En tout cas, pour l’ancien ministre du Transport, Hichem Ben Ahmed, élu nouveau député, grand connaisseur du dossier puisqu’il est parvenu à le mettre sur les rails, la vraie restauration se fait à l’intérieur de la compagnie. « Il ne s’agit pas de licenciements abusifs, mais d’une vraie restructuration de l’administration et du personnel. Il s’agit d’un dossier qui a été étudié avec les partenaires sociaux et il est actuellement entre les mains de la présidence du gouvernement », explique-t-il à «La Presse».
Rajeunissement de la flotte
Même si le site officiel de Tunisair fait état d’une flotte composée de 29 appareils en exploitation, dont 22 Airbus et 7 Boeing, selon nos informations, la réalité est tout autre. Tunisair dispose actuellement de seulement 27 appareils en exploitation, dont seulement 20 qui sont opérationnels. Car, en effet, si la flotte se compose de 27 avions, elle souffre d’usure, ce qui justifie le fait que certains appareils sont fréquemment hors service. Il ne s’agit pas de problèmes techniques qui menacent la sécurité de ces engins, mais plutôt de problèmes de maintenance et d’équipements.
L’ancien ministre, Hichem Ben Ahmed, précise dans ce sens que l’opération « coup de jeune » de la flotte a bien démarré, d’ici deux ans et demi, la compagnie sera dotée progressivement de 10 nouveaux engins flambant neufs, mais perdra également cinq autres dont la durée de vie touche à sa fin.
Pour sa part, le ministre du Tourisme et de l’artisanat et du Transport par intérim, René Trabselsi, a expliqué à cet effet, que l’acquisition de ces engins se fera sous forme de leasing (système de location-vente) avec option d’achat et portera la flotte de Tunisair d’ici 2022 à 32 appareils dont six tout neufs. Mais il faut noter dans ce sens, que l’Etat tunisien a déjà versé la somme de 50 millions de dollars comme avance pour acquérir ces avions.
Notons aussi que, dans le cadre des préparatifs à cette opérations de rajeunissement de sa flotte, Tunisair a déjà finalisé ses négociations avec le constructeur aéronautique européen, Airbus, pour l’acquisition de cinq appareils de type 320 neo. Une acquisition qui se fera sous couvert de l’opération « Sale et Lease Back » qui permettra de réceptionner trois appareils au début de l’année 2021 et deux au début de l’année 2022. Le premier appareil devrait être réceptionné en février 2021 alors que le dernier appareil de ce lot sera réceptionné en avril 2022.
Ce plan de restructuration concernera également les filiales de Tunisair, dont notamment Tunisair Express qui verra d’ici une année toute sa flotte, composée de trois avions, se renouveler par des avions également tout neufs. D’ailleurs, le premier avion « ATR 72-600 » appartenant à la société Tunisair Express « BULLAREGIA » a atterri, récemment au terminal 2 de l’aéroport international Tunis-Carthage pour renforcer sa flotte. Donc on pourra comprendre que le plan de restructuration a bien démarré, notamment pour cette filiale, qui ambitionne de s’ouvrir sur d’autres destinations proche de la Tunisie outre la multiplication de ses désertes à l’intérieur du pays.
Licenciements en masse
Outre les tentatives d’augmentation du capital de Tunisair, son renforcement financier et le renouvellement de sa flotte, un plan social a été mis en place pour restructurer Tunisair. Ce plan vise essentiellement à alléger la masse salariale dont souffre la compagnie. En effet, il faut revenir à huit ans en arrière pour trouver l’origine du mal de l’actuelle situation de la compagnie qui a nécessité la mise en place d’un plan de restructuration d’envergure. En effet, après les évènements de la révolution tunisienne et au nom de la paix sociale, Tunsiair n’a pas été épargnée de la vague des recrutements abusifs dans les entreprises et administrations publiques. D’ailleurs, le PDG de Tunisair, Ilyes Mnakbi, avait expliqué en 2018 que la situation que vit aujourd’hui Tunisair résulte d’une mauvaise gestion et d’un recrutement « abusif » d’agents après la révolution. « 1200 employés ont été recrutés après la révolution », a fait savoir le PDG affirmant que ces travailleurs ne servaient à rien. « Ils sont payés à ne rien faire », a-t-il conclu.
Les chiffres auxquels nous avons eu accès font savoir que la masse salariale de Tunisair est passée de 220 MD avant la révolution à 340MD actuellement. La masse salariale des filiales de Tunisair représente, quant à elle 130%, de leurs revenus, elles sont toutes déficitaires et reposent essentiellement sur les revenus de la société mère Tunisair.
Dans ce sens, l’actuel plan de restructuration qui sera l’un des premiers dossiers sur le bureau du prochain gouvernement, vise essentiellement à licencier exactement 1146 agents en 2020 afin d’améliorer ses équilibres financiers. Ainsi le nombre d’agents opérant sur un avion, devrait passer de 222 à 164 agents en 2020 en vue de se rapprocher des normes internationales.
Ce plan social avait fait l’objet, a-t-on appris, de grands tiraillements et des « négociations conflictuelles » entre des responsables du ministère du Transport et les parties syndicales de Tunisair qui ont refusé de commenter ces informations à notre journal. Des négociations qui ont duré plus d’une année pour parvenir à un accord final : 1146 employés seront licenciés de la compagnie nationale, une opération qui coûtera 170 millions de dinars d’indemnisations et se fera progressivement durant les trois prochaines années. L’accord trouvé entre les deux parties stipule également que les employés qui vont être licenciés soient sélectionnés par l’administration de la compagnie, et non pas par le ministère, ni la présidence du gouvernement.
Tunisair à l’abri de l’Open Sky
Force est de constater que la compagnie Tunisair ne connaît pas actuellement ses meilleurs jours. Et dans une telle situation, elle ne pourra en aucun cas entrer en concurrence avec les autres compagnies qui débarqueront en Tunisie à l’issue de l’accord du ciel ouvert, appelé plus communément l’Open Sky.
C’est pour cette raison que l’aéroport Tunis-Carthage sera exclu, pour une période de cinq ans, de l’application de cet accord avec l’Union Européenne, qui devra porter sur les autres aéroports. Une période durant laquelle le prochain gouvernement devra mettre en œuvre le plan de restructuration de Tunisair pour lui redonner ses ailes et la rendre encore plus compétitive. Après avoir signé, le 11 décembre 2017, la convention de l’Open Sky, ou ciel ouvert, entre la Tunisie et l’Union européenne, l’accord entrera en vigueur à la fin du mois de février 2020, a annoncé, dernièrement, le ministre du Tourisme et ministre du Transport par intérim, René Trabelsi.
La compagnie Tunisair devra tirer profit également du plan d’extension de l’aéroport Tunis-Carthage. Selon nos informations, on envisage de construire un grand hall dédié uniquement à la compagnie nationale. Du point de vue du ministère du Transport, l’aménagement de l’Aéroport Tunis-Carthage demeure moins coûteux que la construction d’un nouvel aéroport proche de la capitale Tunis. D’ailleurs, les travaux de l’extension de l’aéroport commenceront au deuxième semestre 2020 et s’étaleront sur la période de 18 mois. L’extension de l’aéroport Tunis-Carthage permettra d’augmenter l’effectif des passagers de 5,5 millions à 8 millions/ an à l’horizon de 2022.
Donc pour conclure, on note que le plan de restructuration de Tunisair qui porte principalement sur trois axes : réforme de l’administration, rajeunissement de la flotte et développement de l’activité économique et financière, est maintenant fin prêt. Son application devra constituer l’un des projets prioritaires du prochain gouvernement pour sauver la compagnie qui est connue comme étant le transporteur historique de l’Etat tunisien.